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Photo du rédacteurMichel Tanguy

LES COUPURES DU BURN-OUT





Article écrit par Michel Tanguy, Emmanuelle Weber & Juliette Roy

Juin 2022




PLAN


1- Abstract


2- Vignette clinique : Les coupures de Carine


3- Les 4 coupures du burn-out

Exercice : Prenez le Cas de Carine et 4 couleurs de Stabiloboss pour surligner toutes les coupures de Carine et les classer ensuite. Comparer avec notre tableau…


4- Petit point théorique sur les 4 coupures : déni, anhédonie, repli sur soi/ dépersonnalisation et acédie.


5- Pistes d’accompagnement et de traitement des coupures




1- ABSTRACT


La quantité de symptômes apparaissant lors d’un burn-out peut impressionner et parfois brouiller la piste pour un accompagnant, rendre l’hypothèse de diagnostic plus compliquée voire plus tardive que nécessaire. S’ajoute à cela une banalisation du terme burn-out, utilisé à toutes les sauces et manquant donc de distinction. Sans enlever le mérite à une anamnèse consciencieuse, à un diagnostic différentiel et à une évaluation du stade précis du burn-out, les auteurs suggèrent dans cet article qu’un burn-out sévère pourrait être repéré à partir de l’observation de 4 « coupures », qui lorsqu‘elles sont réunies et rattachées à un contexte professionnel, le définissent sans ambiguïté.


Etre dans un déni de son état d’épuisement (coupure de « tête »), ne plus éprouver son corps comme avant (coupure du « corps »), se replier sur soi et dépersonnaliser (coupure du « coeur ») et perdre la foi et se couper de l’espoir (coupure de « l’esprit »), sont pour les auteurs quatre signes très distinctifs du burn-out sévère, à repérer prioritairement.

Ils proposent au lecteur de faire l’exercice de repérer ces 4 coupures à partir de la vignette clinique de Carine. Ils ajouteront un point théorique sur ces 4 coupures avant de proposer quelques pistes d’accompagnement ajustées.


2- VIGNETTE CLINIQUE : Les coupures de CARINE (cas clinique)


Carine a 51 ans, célibataire sans enfants, elle est fille unique. Ses deux parents agés, ont tous les deux des maladies neuro-dégénératives (mère, maladie de Charcot- père, Parkinson). Elle vit à Paris. Sa vie sentimentale est en pause depuis longtemps. Journaliste de formation et spécialiste de la veille et de l’analyse d’information, Carine décide de rejoindre un très grand groupe français, comme chargée de communication en 2006.

Pendant 5 ans elle travaille énormément mais adore son travail. En 2012 tout change avec une volonté de la hiérarchie de réorganiser le département et de fixer à Carine des objectifs business. Elle ressent une pression qu’elle n’avait pas connue jusqu’alors. Son manager lui fait « des crasses » : changement de périmètre, changement de bureau pendant ses congés… Et là, en quelques jours c’est l’enfer. Elle sent que quelque chose se « verrouille en elle ». Elle décide de se battre mais en même temps elle ressent comme un énorme vide en elle. Elle essaie de montrer qu’elle est légitime et parallèlement elle ressent une terrible solitude comme si elle contactait une blessure plus forte et très profonde.

Fatigue extrême, perte de poids, dépression, désespoir, obsession de trouver des solutions (et totalement inefficace en même temps). Carine décrit un étau qui l’enserre, des douleurs permanentes dans le ventre, des maux de tête et de dos, une grande difficulté à marcher. Au travail elle ne montre rien, n’exprime pas d’émotions.

Elle va tenir ainsi 7 mois. Son généraliste ne pose pas les mots de burn-out, ne l’arrête pas, ou peut-être que c’est elle qui refuse de se faire arrêter car elle ne veut pas se montrer faible (elle ne se souvient plus). Le médecin lui conseille d’aller voir une Gestalt-thérapeute qu’elle verra une ou deux fois. Elle quitte ses fonctions en juillet 2012 et accepte une mission - toujours à la direction de la communication de son entreprise-.

Début 2013 un collègue en épuisement, prénommé Nicolas, se suicide. Ils n’étaient pas proches. Le mot burn-out est posé pour lui. Nicolas ne l’avait pas soutenue lors de son burn-out (!) à elle. Carine n’a pas perçu qu’il était en détresse et n’a pas compris pourquoi il s’était suicidé. Elle a comme l’intuition que ça participe à la difficulté pour elle de se sortir de son burn-out. Comme s’ils étaient les deux faces de la même pièce, liés par le burn-out et par la même culture de boîte et la même cheffe toxique. Il s’est suicidé le jour de la St Nicolas. Chaque année depuis, son chagrin à elle est abyssal ce jour-là.

Fin 2013 Carine change de service, elle quitte la communication pour aller rejoindre la direction de la qualité de vie au travail. Elle est déterminée à mettre son expérience au service des autres, mais elle déchante vite lorsque ce service est absorbé quelques semaines plus tard par la DRH. Ironique car elle blâmait cette direction de ne pas avoir su écouter la famille de Nicolas après le suicide, allant même jusqu’à réécrire l’histoire…

Carine a cru qu’elle allait pouvoir changer les choses. Pendant des mois elle résiste contre tout et contre tous. Elle se sent isolée. Elle ne veut pas admettre qu’elle est en dépression. Son généraliste lui prescrit un anti-dépresseur. Elle s’inscrit au CNAM en cours du soir pour explorer une reconversion possible, mais n’a pas d’énergie. Sa fatigue grandissante est accompagnée de problèmes de concentration et de vertiges. Elle voit finalement un psychiatre qui lui prescrit du Prozac, ce qui lui fait du bien. Elle commence une analyse en 2014 et reprend le yoga.


Mais professionnellement elle se sent dans une impasse. Les années se suivent et elle n’arrive pas à bouger. En 2019 elle loupe une opportunité de changement de poste et se met dans une position de victime. « On ne sait plus qui je suis : ni une pro de la communication, ni en RH ». Carine se dévalorise et doute de ses compétences. Elle se sent dans un entre-deux, comme dans les limbes. Puis arrive la crise sanitaire qu’elle traverse comme anesthésiée…

En Octobre 2021, Carine tombe malade ; « cette fois ci pour de vrai », un reflux gastro œsophagien accompagné de vertiges la font s’effondrer. Son psychiatre lui impose un arrêt de travail.

« 10 ans de galère dans cette entreprise » et pourtant elle continue de passer des entretiens durant son arrêt maladie pour changer de service. L’entreprise lui propose d’être cheffe de mission dans l’audit, une offre qu’elle accepte. Les entretiens ont suscité en elle beaucoup d’envie mais pris aussi beaucoup d’énergie. Trois semaines avant de reprendre le travail dans son nouveau poste, Carine sent l’angoisse qui monte de plus en plus, son ventre grouille, elle éprouve une peur immense de ne pas être à la hauteur, de ne pas trouver sa place dans ce nouveau service. Elle traverse des moments de trous noirs, ne sait plus ce qu’elle vaut, avec des épisodes récurrents de tétanie et de paralysie. Sur l’insistance de sa psychanalyste, elle accepte d’aller voir un spécialiste du burn-out qui la reçoit le 28 janvier 2022 pendant 1h30, et qui est frappé par l’écart important entre le récit rempli d’épreuves douloureuses (transcrites dans ces notes) versus le ton calme et posé de Carine et sa difficulté à éprouver des émotions lorsqu’elle en parle.

Carine se dit empêtrée dans les séquelles d’un burn-out qui traîne depuis 10 ans et vient le voir pour qu’il l’aide à passer le cap de la peur de l’avenir et des douleurs du passé pour réussir à avancer durablement dans la vie. « Le stress m’attaque physiquement et psychiquement depuis 3 semaines, à l’idée de reprendre le boulot. Que me conseillez-vous ?» La réponse du thérapeute face aux signes de Carine (psychiques, physiques, comportementaux et spirituels) est qu’elle ne lui semble pas prête à reprendre le travail, qu’elle n’a pas encore récupéré un niveau d’énergie suffisant pour aborder un nouveau travail dans des conditions optimales.

Carine reprend le travail trois jours plus tard. Elle rappelle le spécialiste en burn-out pour annuler la 2e séance programmée, argumentant que son entreprise lui offre un accompagnement de coaching pour sa nouvelle prise de poste et qu’elle va déjà « essayer comme ça ».


3- LES 4 COUPURES DU BURN-OUT


Dans les pas de Christina MASLACH* , il est devenu courant de dire que le burn-out est un triple épuisement : corporel, émotionnel et psychique. Nous soutenons qu’il est en réalité quadruple, car l’effondrement des trois sphères précédemment citées conduisent à un effondrement spirituel avec une perte de foi dans la vie.


Le burn-out est une stratégie d’adaptation au stress qui a échoué ! Dans une stratégie d’adaptation au stress « réussie », l’individu et l’entreprise réussissent à mettre en place -souvent inconsciemment bien sûr- des « mécanismes de défense » personnels et collectifs pour permettre à la personne de « faire avec » son activité. Mais quand elles ne suffisent pas, la personne pour « tenir » face à la baisse du sentiment d’accomplissement et la perte de sens, va mettre en place des modalités défensives plus radicales que nous appelons « coupures », en réalité un enchaînement de coupures physiques et psychiques qui provoque une coupure spirituelle et une perte d’espoir dans la vie.


Nous vous proposons une grille de lecture des 4 coupures afin de repérer facilement et rapidement les signes bien distinctifs d’un burn-out sévère* :


TETE : un déni de combat

CORPS : une difficulté à ressentir, à contacter ses éprouvés

COEUR : un repli sur soi avec dépersonnalisation

ESPRIT : une perte de foi


Remarquons dans le cas de Carine, à travers les notes prises lors de sa consultation, comment sa chaîne de coupures va la couper du vivant en elle.


TÊTE : Déni de combat- « Ou peut-être que c’est Carine qui refuse de se faire arrêter car elle ne veut pas se montrer faible » « Elle ne veut pas admettre qu’elle est en dépression » « En Oct. 2021, Carine tombe malade, cette fois ci ‘pour de vrai’ » « 10 ans de galère dans cette entreprise et pourtant elle continue de passer des entretiens en interne ». Malgré l’avis du spécialiste en burn-out, « Carine reprend le travail trois jours plus tard… elle va déjà essayer comme ça »


CORPS : Anhédonie- « Elle ressent comme un énorme vide » « Au travail elle ne montre rien, n’exprime pas d’émotions ». La crise sanitaire qu’elle traverse « comme anesthésiée »… L’accompagnant en burn-out est « frappé par sa difficulté à éprouver des émotions lorsqu’elle parle en séance ».


COEUR : Dépersonnalisation/repli sur soi- « Quelque chose se verrouille en elle » « Elle ressent une terrible solitude » « Pendant des mois elle résiste contre tout et contre tous, elle se sent isolée. » L’accompagnant en burn-out est « frappé par l’écart important entre le récit rempli d’épreuves douloureuses versus le ton calme et posé de Carine »



ESPRIT : Perte de foi- « Professionnellement, elle se sent dans une impasse » « Carine se dévalorise et doute de ses compétences » « Elle se sent dans un entre-deux, comme dans les limbes » « Carine sent (…) ne pas être à la hauteur », « ne sait plus ce qu’elle vaut »




LA THEORIE DES COUPURES


4.1- Le déni de combat


Le déni est une réponse aux conflits et aux stress « en refusant de reconnaître certains aspects douloureux de la réalité externe ou de l’expérience subjective qui seraient évidents pour les autres » (DSM-IV).


« Il s’agit d’un mécanisme de défense inconscient qui constitue une protection nécessaire devant la réalité si angoissante qu’elle peut provoquer un effondrement psychique. Il permet de préserver le sentiment de sécurité et protège de l’angoisse. C’est une stratégie inconsciente de gestion de l’anxiété, une mesure de protection face au choc émotionnel (…). L’incapacité à se représenter une réalité insupportable est temporaire et représente une étape nécessaire permettant de supporter la douleur psychique, un temps nécessaire pour se préparer à y faire face. » (Maria Hejnar* )


Le déni n’est pas supposé durer.


Dans le cas de Carine, le déni est problématique car il s’inscrit dans la durée (« 10 ans de galère »). Carine est dans le déni car elle refuse d’accepter qu’elle est trop fatiguée pour retourner travailler, ce qui reviendrait à reconnaître que dans le contexte, elle n’est plus capable de travailler ce qu’elle pourrait réduire à ‘j’ai failli’ (car je ne suis plus capable de travailler).


Ainsi, dans le cas du burn-out, le déni servirait à se protéger de cette réalité insupportable que la personne est faillible. Dans une société qui valorise la performance, le dépassement de soi, admettre l’épuisement professionnel, c’est dire “je ne réussis pas, je ne réussis plus”. C’est très dur d’un point de vue narcissique pour la personne.


Reconnaître le burn-out reviendrait à renoncer à des croyances que la personne a sur elle-même et le monde en général, telles que « s’arrêter, c’est être faible » ou encore « on ne peut compter que sur soi-même »


S’arrêter reviendrait à vivre un temps suspendu où la personne cesse de faire ce qu’elle est en train de faire sans être capable de se projeter dans autre chose. S’arrêter reviendrait à prendre la décision de quitter une situation insupportable mais connue pour autre chose sans qu’elle ne puisse encore lui donner de forme. Cette impossibilité à se projeter est effrayante. Enfin, si la personne nourrit la croyance selon laquelle « Je suis ce que je fais » alors si elle ne fait « rien », elle devient « rien ». On peut ainsi parler de petite mort.


Dans certains cas, la personne notamment quand elle a déjà traversé des phases d’épuisement professionnel, met en place des actions qui lui donnent l’impression d’agir et dont l’inefficacité peut être source de découragement. En réalité, ces actions ont l’apparence de solutions sans en avoir l’essence, et ne font qu’entretenir le déni, quoique je fasse, rien ne marche et je n’ai pas d’autre choix que de mettre ma santé physique et psychique en danger. Pour accepter réellement de vivre l’inconfort de l’inconnu, un « supplément d’intention » est nécessaire. Par exemple, je demande de l’aide mais je n’écoute pas / je n’entends pas ce que l’Autre me dit. Je reste en boucle sur moi-même car je suis convaincue que je ne peux compter que sur moi-même. J’évite l’expérience du plein contact, l’Autre devenant une menace, en particulier quand je n’ai pas construit un type d’attachement sécure (stratégies d’évitement). Ainsi Carine ne veut / peut pas entendre ce que le spécialiste du BO lui dit à l’occasion de leur première séance à savoir que c’est trop tôt pour elle de reprendre le travail.


Les auteurs observent que le déni dans le cas du burn-out a une “couleur” particulière. Comme si l’énergie psychique mise à nier la réalité -fatigante en soi- se couplait avec une énergie tout aussi intense à “tenir” coute que coute dans une situation devenue intenable. Les auteurs ont nommé ceci « déni de combat ». Il est puissamment énergivore et contribue grandement à l’épuisement du sujet en burn-out. Dans l’accompagnement, on peut donc comprendre pourquoi cette coupure doit être mise au travail prioritairement. La personne aura de grandes difficultés à se reposer, à récupérer, tant que ce processus psychique oeuvrera en sens inverse.



4.2- L’anhédonie


On parle d’anhédonie, quand une personne se coupe de ses émotions avec l’intention positive, et le plus souvent inconsciente, de ne plus rien ressentir pour ne pas souffrir.

C’est un syndrome sur lequel il est parfois difficile de poser un diagnostic clair. On parle souvent de dépression pour décrire l’incapacité d’une personne à ressentir une quelconque émotion, d’épisode dépressif, mais le terme anhédonie est souvent bien plus approprié.

Alors que les situations d’ordinaire plaisantes se produisent, la personne ne ressent plus rien de positif, se désintéresse totalement des situations qui lui étaient agréables auparavant. Une jeune femme qui adorait danser, sortir, aller au restaurant avec ses amis, ne ressent plus aucun élan, aucune joie ou plaisir à partager de tels moments, qui peuvent être même vécus comme des contraintes supplémentaires à son quotidien. Il y a une perte d’élan vital. L’energie de vie quitte peu à peu la personne, sans qu’elle ne s’en rende compte.

L’anhédonie c’est la perte de la capacité à ressentir des émotions positives. Dans cette phase, la personne déjà dans un stade avancé du burn-out ne trouve plus aucune motivation à faire les choses qu’elle aimait faire avant et aucun plaisir en les faisant. Elle va jusqu’à fonctionner en mode robot, faisant ce qu’on attend d’elle, pour se conformer ou « donner le change », sans plus rien ressentir, ni joie, ni d’autre forme d’émotion.

Confronté au stress, l’être humain fuit ou attaque. Mais quand il ne peut faire ni l’un ni l’autre il rentre en inhibition comme c’est souvent le cas dans le travail en entreprise. Rentrer en inhibition ne signifie pas qu’il ne se passe rien dans le corps. Si le stress ne peut s’exprimer par la fuite ou l’attaque, il exerce toute son action à l’intérieur du corps.


L’incendie ravage insidieusement, silencieusement à l’intérieur du corps. A l’extérieur, rien ne se voit au début. Pour la personne, rien ne se ressent. L’individu est coupé de lui-même, comme anesthésié de ce qu’il pourrait ressentir : la fatigue extrême, l’épuisement, les souffrances à certains endroits du corps (dos, articulations, ventre …), les dysfonctionnements organiques (digestion, sommeil, appétit …).

Le corps devient un élément auxiliaire de soi-même ; séparé, coupé de son corps, clivé de soi, de son âme. Le corps est nié, nié dans ses limites, nié dans ses besoins. Il faut avancer coûte que coûte.

Ecoutons Michel* : « Mon corps était devenu totalement séparé de mon âme. Je n'entendais plus les signaux faibles de mon corps me dire ce qui me donnait ou me retirait de l'énergie ; à quoi je devais dire oui ou à quoi je devais dire non ».


La pensée philosophique grecque décrit l’hédonisme comme la recherche de plaisirs et l’évitement de souffrances, ce qui constitue le but de l’existence humaine. L’anhédonisme, c’est le fait d’être privé de cet élan vital en nous.

Comment la détecter ? Certains signes extérieurs sont visibles :


• Les interactions sociales sont évitées

• Aucune émotion, ni positive ni négative n’est vécue, ressentie

• Désintérêt de tout, en particulier de ce qui animait la personne avant

• Perte de satisfaction dans les activités diverses, qui autrefois procurait du plaisir



D’où provient-elle ?

D’un point de vue neurologique, on observe une désensibilisation des cellules à la dopamine. Privée de ce neurotransmetteur impliqué dans le plaisir et la motivation, notre système d’évaluation de la récompense, de prise de décision, d’anticipation et de motivation sont altérés.

L’anhédonie peut apparaître lors de changements radicaux dans une vie (déménagement, deuil, changement dans le travail, séparation…). La personne n’a plus de capacité d’adaptation aux demandes d’un environnement extérieur trop difficile à gérer.


Lorsque la personne se met à l’action, elle ne doit pas seulement combler le manque d’énergie, mais également faire face à un manque de satisfaction. C’est une épreuve qui peut s’avérer extrêmement difficile à traverser. Ce qui était naturel auparavant, apprécier, ressentir sont des choses que la personne n’arrive plus à vivre spontanément. Il y a une réelle incapacité de ressentir du plaisir. Ce qui auparavant satisfaisait la personne, ce qui représentait les plaisirs, petits ou grands de sa vie, lui deviennent indifférents. Les stimuli agréables ne sont plus stimulants.

Quand la personne, comme Carine, est dans le déni de son burn-out, elle essaie de se convaincre qu’elle n’a pas de problèmes. Ou plus exactement, elle ne veut pas se poser de questions. Quand la famille ou les proches la questionnent, elle répond généralement que ça va aller ou que ça la regarde. Mais il est illusoire de penser qu’on peut taire indéfiniment ses angoisses sans cesse réactivées par un stress chronique, qui lui n’a pas disparu. Ces angoisses vous rattrapent tôt ou tard. Et en attendant elles s’inscrivent dans le corps... Un corps que la personne en processus de burn-out va également faire taire pour ne pas entendre ce qu’il pourrait lui dire !

Et le cerveau va, en quelque sorte, décider de ne plus ressentir pour ne pas souffrir. Sauf qu’en suivant ce chemin de ne plus ressentir les effets dévastateurs du stress, la personne va se couper également des bons ressentis. L’hippocampe noyée dans un cortisol devenu toxique s’atrophie sans distinction dans sa capacité à être en lien avec les sensations, émotions négatives ou positives. Petit à petit la personne en burn-out aura non seulement du mal à ressentir les sensations négatives induites dans le corps par le stress mais également elle ne ressentira plus les plaisirs de la vie. C’est une coupure avec son environnement extérieur, comme une carapace étanche, qui la protège en ne laissant pas passer le stress engendré par des stimuli extérieurs, mais également le bon de son environnement.



4.3- La dépersonnalisation


La dépersonnalisation est un trouble dissociatif. Les individus souffrant de dépersonnalisation se sentent à la fois détachés du monde et de leur propre identité ou incarnation physique. Réaction de l’organisme à un état de stress chronique, le cerveau décide de ne plus ressentir ce qui le fait souffrir. Il se coupe de ses ressentis, bons et mauvais, pour ne pas souffrir. Les relations sociales se déshumanisent. Le contact avec l’autre s’instrumentalise, avec une perte de sens dans la relation aux autres. La personne ne ressent plus rien par rapport aux personnes qui l’entourent. Ses collègues de travail, ses amis, ses proches l’indiffèrent. L’organisme tourne alors « au ralenti », comme si la personne devait garder toute son énergie pour elle-même, pour ne pas sombrer complètement, s’effondrer. Dans les métiers de contact (clients, patients, partenaires …), l’autre perd sa dimension humaine et s’objective.


Comment évaluer l’état de dépersonnalisation d’une personne ?


Le questionnaire d’autoévaluation MBI (Maslach Burn-out Inventory) est un test de référence en trois parties pour évaluer le degré de burn-out, l’épuisement émotionnel, l’accomplissement au travail et la dépersonnalisation.


Voici la partie consacrée à la dimension psychologique liée au travail qu’est la dépersonnalisation, c’est-à-dire la capacité à gérer ses relations avec l’entourage professionnel.


« Je suis devenu plus insensible aux gens depuis que j’ai ce travail »

« Je crains que ce travail ne m’endurcisse émotionnellement »

« Je ne me soucie pas vraiment de ce qui arrive à mes clients/collègues »

« J’ai l’impression que mes clients/collègues me rendent responsable de certains de leurs problèmes »

« Je sens que je m’occupe de certains clients/collègues comme s’ils étaient des objets »


Plus la personne répond positivement aux questions précédentes, plus son état de dépersonnalisation est avéré.


Il y a une perte de sens de la réalité, un changement notable dans la perception que l’individu a de son environnement et une incapacité à contrôler cet état.


Les personnes qui souffrent de dépersonnalisation ont le sentiment :

• D’être détachés du monde, de leur identité, de leur propre corps

• Que leur vie ressemble à un film, que les choses paraissent irréelles, floues

• D’avoir perdu accès à leurs émotions. Ils ne parviennent plus à les ressentir, ou bien ils les ressentent mais sans se sentir concernés

• Que tout manque de sens, leurs actions, leur vie en général

• Qu’il existe une césure entre leur corps et leur tête, d’avoir le sentiment d’agir comme un robot

• Qu’il existe une césure entre eux et le monde, les autres


La déshumanisation de la relation représente le noyau dur du syndrome du burn-out. Une sécheresse relationnelle et un cynisme font peu à peu considérer l’autre comme un objet, un cas ou un dossier. Un humour grinçant et noir peut apparaître. La personne ne voit plus l’humain en face de lui. Le plaisir de la rencontre, l’altruisme se mue de façon progressive en frustration et désincarnation de la relation. Les relations amicales s’étiolent jusqu’à disparaître. Il n’y a plus ni plaisir, ni réel intérêt dans l’échange avec l’autre.


« Carine ressent une terrible solitude (…)un énorme vide en elle. C’est comme si elle devenait une coquille vide, coupée du vivant en elle. »



4.4- La perte de foi- (en soi/en la vie)


Etre disponible à soi pour voir au-delà de la tâche, donner du sens à ses actions, s’interroger sur la place que l’on a envie d’occuper dans le monde, requièrent d’être suffisamment disponible à soi et à l’écoute de ses envies. La personne en burn-out est incapable de mener ce type de réflexion. Elle vit dans un épais brouillard, engluée dans la terreur d’une situation professionnelle qui lui échappe. Elle n’a pas la disponibilité psychique et la tranquillité intérieure suffisantes pour contacter ses envies profondes ; actualiser des schémas dont elle fait pourtant l’expérience de l’inefficacité. Elle est dans la reproduction d’un « même » et la frustration à chaque fois renouvelée qu’une même action produit les mêmes effets. Il y a quelque chose de mortifère dans cette répétition.

Carine ne sait plus ce qu’elle vaut. Elle se sent dans un entre-deux, « dans les limbes » (imaginaire Vie/Mort).


En process communication, on parle du scenario « A quoi bon ? ». La personne se mobilise pour atteindre ses objectifs parfois au prix de sa vie personnelle (procrastination des moments de plaisir + fatigue physique & psychique) et une fois atteints, elle ne prend pas le temps de « goûter » l’instant présent (s’arrêter / célébrer / dresser un bilan). Elle se jette corps et âme dans un nouveau projet, sans temps de pause et de récupération, cumulant de la fatigue voire du découragement car elle ne prend pas le temps de célébrer et construire sa confiance en elle. Sous stress, elle présente des signes de rigidité, un perfectionnisme invalidant et une incapacité à déléguer/faire confiance à l’Autre.


Carine est certainement sous l’emprise du driver ‘Sois parfait’ auquel elle conditionne sa valeur à la fois professionnelle et personnelle. Ainsi elle perd en lucidité par rapport au contexte dans lequel ce qu’elle vit s’inscrit, alors même qu’un de ses collègues s’est suicidé et que la piste du burn-out a été évoquée. Au fil des années, Carine a probablement développé ce que Donald Woods Winnicott qualifierait de faux self.


Ainsi, reconnaître le burn-out, c’est renoncer à un puissance mécanisme de défense face à son incapacité temporaire à se projeter. C’est également renoncer à ses croyances et à un moi idéal. Mais reconnaître le burn-out, c’est aussi se connecter à son être profond ; accéder au vivant en soi et entrer dans un processus d’individuation*.



4- L’ACCOMPAGNEMENT DES COUPURES


Pour accompagner et transformer ces coupures, nous proposons d’adopter une posture d’accompagnant résolument humaniste. Dans notre vision, le burn-out vient comme un fusible sauver la personne de l’incendie général. Et ainsi pouvons-nous regarder la coupure des fusibles non pas uniquement comme un syndrome pathologique mais également comme un signe de bonne santé* .

Le burn-out deviendrait un appel à changer quoi dans sa vie pour n’être plus victime mais devenir auteur d’un nouveau chapitre plus épanouissant ?

Le burn-out s’accompagne dans la dentelle, petits pas par petits pas, avec comme le dit si bien Michel Delbrouck « la saine humilité devant la complexité des situations ».


Exemples de pistes d’accompagnement :


- L’accompagnant aura à cœur de remettre du vivant à travers la relation thérapeutique. En accompagnant, petit à petit, la personne à reprendre contact avec ses propres émotions, à travers par exemple, l’art (la musique, la littérature …), le mouvement pour lui permettre de réhabiter son corps, de le sentir (la danse, le yoga, la marche …), à renouer avec ses relations amicales, petit à petit. Il prêtera ses propres émotions, ressentis, les partagera à la personne accompagnée afin de lui permettre de recommencer à ressentir ce qui se passe en elle. On s’attachera à s’appuyer sur notre intersubjectivité, ce que l’on ressent – à l’occasion de la rencontre avec l’autre – pour lui permettre un réapprentissage de sa propre intersubjectivité.

- Créer les conditions de la prise de recul pour permettre à la personne de reprendre contact avec sa sensibilité, ses aspirations, le vivant en soi. Faciliter un travail de connaissance de soi (besoins, valeurs) pour aider à lâcher une identité construite mais peut-être périmée voire toxique (faux self). Et oser identifier et mettre au travail les facettes d’une personnalité à burn-out (« insecure overachiever ») : surinvestissemnet au travail, perfectionnisme, besoin démesuré de reconnaissance, ultra-sensibilité, etc.

- Créer les conditions de l’intersubjectivité en permettant à la personne de vivre, à l’occasion des séances, une relation profonde & authentique avec son thérapeute/coach. Etre en présence y compris dans le silence, que dans ce « rien » du silence, la personne vive de la présence. Oser une douce confrontation « nous sommes ensemble et dans le même temps, je pourrais vivre de la solitude. Est-ce qu’il se pourrait que vous viviez la même expérience ? ».

- Ancrer la personne dans l’instant présent, ses sensations physiques, les pensées qui la traversent (mindfulness).

- Aider la personne à reprendre le volant de sa vie. A accepter sa vulnérabilité et à devenir responsable de son cadre protecteur. Par exemple,

o Explorer avec la personne la part du travail dans sa construction identitaire ;

o Inscrire son rapport au travail dans une continuité ; l’aider à prendre conscience de son héritage familial et social pour mieux choisir ce qu’elle souhaite conserver de ce qu’elle souhaite ‘rendre à ses ancêtres’, et ainsi se délester d’éventuels conflits de loyauté.

o Rendre explicite et soutenir son processus d’individuation* pour faire émerger le vrai self

- Lever progressivement les résistances de la personne en explorant avec elle où se trouve le risque maximal : Et ça serait comment pour vous de vous arrêter de travailler quelques jours ? De ne plus faire ce métier précédent du tout ?

- Si la personne nomme du rien, continuer d’explorer avec elle, « et de quoi serait fait ce rien » ? En plus de l’inconfort effrayant de vivre ce « rien », l’accompagnant, évalue également le degré d’isolement social réel de la personne et la qualité des liens avec son entourage personnel : en surinvestissant la sphère professionnelle, certaines personnes ont désinvesti la sphère personnelle, à moins que ce ne soit la pauvreté ou le douloureux de la vie sociale qui n’ait entraîné un surinvestissement de la sphère professionnelle. Dans les 2 cas, la personne est seule et, en arrêtant d’aller travailler, elle se coupe des rares interactions sociales qu’elle pourrait avoir.

- Elargir, contextualiser, l’aider à voir au-delà de ce qu’elle vit dans le cadre du travail pour l’aider à investir d’autres pans de sa vie

- Fonctionner en binôme avec généraliste/psychiatre, voire dans certains cas, le manager ou la médecine du travail

- Certains cas peuvent nécessiter d’être traités de manière médicamenteuse, pour remonter chimiquement le taux de sérotonine, de dopamine, etc. Surtout en présence d’idées noires.

- Le but est également d’aider la personne à identifier les « stresseurs » ou les mécanismes à l’origine de ses problèmes et à adopter de nouveaux comportements, une nouvelle hygiène de vie afin de pouvoir sortir progressivement de ses vieux pièges et d’éviter toute rechute…

- Des séances de thérapie utilisant les états modifiés de conscience (hypnose, Respiration Holotropique, transes chamaniques, etc) peuvent être indiquées pour aider le corps et le cerveau à se nettoyer des traces traumatiques du burn-out (en particulier s’il est couplé avec du harcèlement), et/ou à se relier à des niveaux de conscience plus vastes (et moins contrôlées par les résistances de l’ego) afin de « s’individuer » dans un nouveau projet de vie plus ajusté…



Quoi qu’il en soit, c’est toujours dans le LIEN que la réparation se fait.



Conclusion


Les auteurs soutiennent que le burn-out est une pathologie du clivage : une séparation en deux, massive, aux quatre niveaux essentiels de l’être (tête, corps, cœur, esprit).

Le clivage est un mécanisme de défense fréquent en cas de traumatisme. Les situations qui conduisent au burn-out sont de nature traumatique. La succession de stress chronique va être vécue par l'organisme come une suite de traumas, un “chapelet traumatique”, que nous pourrions comparer à la torture de la goutte chinoise. S’en suit un enchainement de 4 coupures qui atteignent tous les niveaux de l’être : le “déni de combat”, l'anhédonie, la dépersonnalisation et la perte de foi.


Ce clivage massif est provoqué par une cascade psycho-physico-chimique bien sûr associée aux effets particuliers du stress sur le corps (cortisol, etc.). Mais il nous parait primordial de voir dans cette séparation en deux de la psyché, la rupture entre l’une de ses parties –correspondant à la réalité extérieure professionnelle à satisfaire- qui vient contrarier profondément l’exigence vitale de l’autre partie –correspondant à l’appel intérieur de l’âme qui cherche à s'accomplir. Le burn-out, pour diminuer l’angoisse extrême, va séparer ces deux parties sans compromis apparent possible. C’est justement cette inconciliabilité que le spécialiste de l’accompagnement du burn-out va mettre au travail dans une intentionnalité d’aider la personne à s’unifier.



Glossaire


Le burn-out sévère correspond aux Stade 3 avancé et stade 4 dans la classification des stades du burn-out chez Michel Delbrouck et all « Comment traiter le burn-out » (Ed. Deboeck). La personne doit absolument consulter un médecin et s’arrêter de travailler.


L’individuation est « un processus par lequel une personne devient consciente de son individualité ». Carl Gustav Jung suggère ainsi que l’individuation est un processus à travers lequel l’être humain évolue d’un état infantile d’identification totale vers un état de plus grande différenciation, impliquant une amplification de la conscience et articulant, de manière harmonieuse, ses différentes strates.


Le vrai self désigne l'image que le sujet se fait de lui-même et qui correspond à ce qu'il est et perçoit à travers une réaction authentique. Winnicott explique qu'au stade le plus primitif, « le vrai self est la position théorique d'où provient le geste spontané et l'idée personnelle ». Le faux self est de nature défensive ou, dans l'état de santé, adaptative. Il a pour fonction de « dissimuler et de protéger le vrai self, quel qu'il puisse être »


Notes


1- Christina Maslasch et Michael Leiter « Burn-out” (Ed. Les Arènes)

2- Maria Hejnar, psychologue clinicienne et psychothérapeute. Paris.

3- Michel Tanguy (www.sosburnout.com/blog ; article “Les deux rives du burn-out “)

4- C’est également la vision du coach Thierry Baltazar et le titre de son ouvrage « Le burnout, un signe de bonne santé » (Editions Favre)



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